Vivre comme si c’était le dernier jour. Une citation stupide. Un argument que certains utilisent quand on ne veut pas sortir, quand on veut remettre quelque chose supposément intéressant à plus tard. En général, c’est toujours des mots que l’on prend à la légère, parce qu’on croit avoir toute la vie devant nous, et quand on ne l’a plus, c’est parce qu’on en a vécu une qui est bien remplie, qu’ils n’ont aucun regret, même si parfois ils ont remis à plus tard certaines choses. Bref, on pourrait croire que cette citation, ce diction de vie n’a aucune signification.

Moi, je n’ai jamais pensé qu’il en avait une, jusqu’à il y a tout récemment. Quand on est enfant, on ne pense pas à ce genre de chose. On a tout un monde à découvrir, des passions à développer, et surtout, on est gamin, on n’a pas le temps de faire des réflexions sur son existence, ne serait-ce que la réponse à trouver quand quelqu’un nous demande ce qu’on veut faire quand on sera grand. Moi, ma réponse, c’était « Quand je serai grande, j’aurai une médaille d’or et une maison avec plein de trophées, parce que je serai une grande sportive ». Non, moi je ne voulais pas devenir docteur, professeur, astronaute ou pilote de course. Ma réponse n’a jamais changée, et j’avais, même enfant, que cette réponse ne changerait jamais. J’ai eu le nez dans ce domaine beaucoup trop tôt pour m’intéresser à quoi que ce soit d’autre. En plus, j’avais un entourage qui supportait mon choix : Un père qui est entraîneur sportif, une mère avocate que j’adore, et qui m’a choisie une marraine exceptionnelle; sa petite sœur Jennifer. Oui, je les aime beaucoup, même ma marraine qui s’amuser à m’appeler « Anna-Ju », chose que je déteste même en étant enfant.

Cette phrase n’avait pas plus de signification quand je me fixai sur un sport; le volleyball de plage. C’était là, ma passion, et au travers des entraînements, et des premières compétitions, jamais je ne voyais la fin. Je ne l’ai même pas vu à ma première blessure, à une compétition régionale. Ce n’est pas une luxation de l’épaule qui allait mettre fin à ma carrière naissante, ni même un caprice de ma part. Quand la blessure était arrivée, j’étais presque contente de savoir que ma marraine allait faire partie de ceux qui s’occuperaient de moi. Je pourrais la voir souvent, avoir son attention, discuter avec elle comme j’aimais tant le faire. Je n’eus rien de cela. J’avais 14 ans à l’époque, je ne pouvais pas comprendre qu’elle était occupée, qu’elle avait beaucoup mieux à faire que de passer du temps avec moi, et pourtant, depuis ce temps, je ne lui ai jamais pardonné. Un jour, ça reviendrait. J’avais du temps. Nous avions du temps. Je n’avais mis que quelques semaines à me remettre de cette blessure à l’épaule. Je le savais qu’elle ne viendrait pas à bout de moi. Mon dicton de vie, ce n’était certainement pas « Vivre comme si c’était le dernier jour », mais plutôt « Quand je serai grande, j’aurai une médaille d’or et une maison avec plein de trophées, parce que je serai une grande sportive ». Encore et toujours, c’était sur cela que j’orientais ma vie. Tous les gestes que je posais, les décisions que je prenais étaient en fonction de ce but que je m’étais fixé.

Cela ne fut donc pas une surprise quand mes résultats scolaires et ma présence en cours prirent un coup quand je participai pour la première fois de ma vie à une compétition mondiale. J’avais 15 ans. Je faisais partie des plus jeunes compétiteurs, si je n’étais pas la plus jeune. Ma partenaire n’était pas beaucoup plus âgée que moi, donc nous étions sous-estimées dès le début. Ce fut même une surprise pour nous quand nous finîmes troisièmes à cette compétition. Cela ne fit que marquer le début de ma carrière. Les victoires, les trophées commencèrent à s’accumuler un à la suite de l’autre. Les études, tout le reste, ça pourrait attendre; le volleyball de plage, c’était tout ce qu’il y avait d’important dans ma vie, et ce l’était toujours, jusqu’à tout récemment, quand ce fichu dicton de vie a commencé à avoir une signification.

Cette signification a été une révélation. Je n’y avais jamais pensé auparavant, je trouvais cela même ridicule. J’avais du temps devant moi, toute ma vie et ce, pour tout, même pour une vie de famille. Je ne pus toutefois pas contrôler le moment où je tombai amoureuse. J’avais dix-huit ans, il était adorable, et compréhensif de mon emploi du temps chargé. Que pouvais-je demander de plus ? Même si je ne le voyais pas souvent, je l’aimais, et il me montra que c’était réciproque le jour où, un soir où nous avions pu être ensemble, il m’avait demandé en mariage, et que j’avais accepté. Ces fiançailles venaient avec une condition, bien sûr; nous allions nous marier au moment propice, peu importe le temps que ça allait prendre, parce que nous avions effectivement du temps, nous allions passer le reste de notre vie ensemble.

Cela prit deux ans avant que nous nous décidions sur une date pour le mariage. Il était prévu pour décembre dernier, un petit mariage intime à Hawaii, quelque chose de tout simple. Tout semblait parfait, jusqu’au moment où j’appris qu’une importante compétition se tenait au Brésil au même moment que ce mariage. C’est là que j’ai pris la plus difficile – et probablement la pire – décision de toute ma vie; alors que je devais faire un choix entre mon mariage et la compétition, j’ai choisi la compétition. C’était ma passion, on ne pouvait me l’enlever. Mon fiancé savait ce qu’il l’attendait s’il passait sa vie avec moi, ce moment ne serait qu’une autre épreuve. Par contre, cette épreuve, on ne l’a pas passée; il a brisé les fiançailles et est parti.

J’avais perdu tellement de temps pour me rendre à l’autel que ça s’était retourné contre moi. Son départ me brisa le cœur, mais j’avais quand même mon premier amour pour tenter d’oublier; ce fameux tournoi de volleyball au Brésil. J’y restai même plus longtemps, pour m’entraîner dans un véritable sable chaud, dans une atmosphère idéale, et je n’aurais probablement jamais du y revenir. Non seulement, je regrettais d’être partie, j’aurais voulu profiter plus, mais c’est là que le « Vivre comme si c’était le dernier jour » fit vraiment du sens, au moment où en quittant l’aéroport, le taxi quand lequel j’étais fut impliqué dans un grave accident. Gravement blessée, je ne me souviens même pas de ce qui s’est passé, je ne me souviens même pas d’avoir demandé à ce que ce soit ma marraine, Jennifer, qui s’occupe de moi une fois à l’hôpital. Vivre comme si c’était le dernier jour. Mon dernier jour aurait pu arriver dans ce taxi. J’aurais pu partir sans avoir vécu le plus beau jour de ma vie, sans avoir atteint mon but ultime : Aller aux Jeux Olympiques en Angleterre cette année. Ce que je ne sais pas encore, que j’apprendrai à mon réveil, c’est que je ne pourrais, effectivement, jamais y aller. Ma carrière est finie. Ma vie amoureuse est fichue. Je n’ai plus rien à quoi m’accrocher, plus aucune raison de vivre et pourtant, je ne voudrais pas qu’aujourd’hui soit mon dernier jour.