« Mademoiselle, pourriez-vous me raconter cette fabuleuse histoire? Vous savez celle de... »

« Je sais. Je sais... »

Je m'approche lentement du lit de la patiente, lui adressant l'un de mes plus beaux sourires, puis finis par m'installer à ses côtés. Je joue quelques secondes avec une mèche de ma chevelure brune, appréciant le calme environnant, et tentant tant bien que mal de garder contenance. Quand je me sens enfin prête, je prends une petite inspiration, et me lance dans ce récit :

« C'était en 1989, le 22 mai 1989 pour être précise. D'après ce que je sais, c'était une journée plutôt ensoleillée, il faisait chaud. Les rues étaient bondées à cause de la fête foraine, on entendait les rires des enfants, appréciant sûrement les manèges et les clowns, les cris des parents essayant de les dissuader de faire une bêtise ; Une journée heureuse, joviale, pour la plupart des habitants de Dundee. Cependant, pour une magnifique jeune femme, Faith, c'était bien plus qu'un heureux jour, c'était en réalité, le plus merveilleux, le plus extraordinaire jour de sa vie : Elle allait accoucher d'une petite fille, de son seul et unique enfant, en fait. »

« Comment a-t-elle appelé sa fille déjà? »

Je me mordille légèrement la lèvre, faisant preuve d'une grande concentration et surtout de beaucoup de volonté pour ne pas craquer. Je pousse une léger soupire, et décide enfin de continuer :

« Après de nombreuses disputes avec son mari, Edward, ils ont décidé d'appeler leur enfant... Ils ont décidé qu'elle s'appellerait Sasha. »

Je marque une autre pose, et pour la première fois depuis de nombreuses minutes, je soutiens le regard de la patiente. Elle fronce légèrement les sourcils, n'arrivant pas à comprendre mon changement de comportement, s'impatientant légèrement, pressée de connaître la suite.
Je lui raconte donc l'enfance de la petite Sasha, plutôt heureuse. Je lui fais découvrir la vie de la famille Murray, leurs habitudes, leurs caractères, et leurs problèmes aussi. Je lui annonce le départ d'Edward, ne supportant plus sa femme malade, ayant trouvé un nouvel amour dans les bras d'une autre femme, beaucoup trop jeune pour lui.
Je guette chaque réaction de mon interlocutrice, elle semble vraiment captivée par ce que je lui dévoile. Après quelques temps, je lui parle un peu plus de Sasha, je lui explique que l'enfant a eu beaucoup de mal à se remettre du départ de son père ; Elle n'avait que huit ans. Elle s'est refermée sur elle-même, elle a passé beaucoup plus de temps à lire, à écrire dans son petit carnet rouge et noir, à s'imaginer dans un autre monde. Oui, Sasha est une rêveuse ; Elle passe son temps à regarder les nuages, les étoiles, elle adore rêver du prince charmant, d'un monde meilleur.
Plus les années passent, et plus Sasha ressemble à sa mère : Ses cheveux bruns sont indomptables, et ses yeux chocolats trahissent, bien malgré elle, toutes ses émotions, et tout ce qu'elle ressent. Elle ne peut rien cacher à ses proches, et puis de toute façon, c'est une piètre menteuse : Elle n'a jamais réussi à cacher à sa maman ses nombreux petits-amis.
Ah, l'adolescence, quel moment difficile pour les parents... Faith voit sa fille, son bébé, s'affirmait un peu plus, devenir plus adulte, et finir par fréquenter des hommes, plusieurs. Quelle calvaire pour cette maman qui aurait aimé garder sa petite brunette pour elle seule... En plus, la maladie de la dame semble prendre une ampleur un peu plus grande : La tumeur s'étend de jours en jours. La mère et la fille se voient dans l'obligation de déménager, de tourner la page sur leur vie en Écosse, pour en ouvrir une nouvelle en Amérique. Oui, les meilleurs docteurs, et chirurgiens se trouvent là-bas, alors... Sasha et Faith s'installent dans un petit appartement près du MGH. Elles ne vivent pas forcément dans le luxe, devant payer le traitement de la mère, ses frais d'hôpital, et bien sûr, les études de la brunette. Malgré quelques difficultés, les deux femmes restent soudées, et Faith encourage sa fille lorsque celle-ci entreprend de commencer des études de médecine : « Il n'y a rien de plus dur, mais je sais que tu vas y arriver. Je crois en toi ma chérie... », voilà ce qu'elle disait, elle était sûre de la réussite de son enfant.

« Qu'est devenue la jeune Sasha? A-t-elle rencontré l'homme de sa vie? Et que fait-elle désormais? Reste-t-elle auprès de sa mère? »

Je ma racle légèrement la gorge, cachant mon malaise devant la curiosité évidente de la dame en face de moi. Devrais-je lui dire la vérité? Devrais-je tout balancer pour me soulager? Devrais-je partir tout de suite, la laissant seule?
Non, je ne suis pas comme ça, je ne suis pas ce genre de fille. Il m'arrive juste quelques fois de craquer, de laisser parler mes sentiments, et donc de laisser tomber ma carapace.

« Sasha a suivi son rêve, elle a décidé de devenir chirurgien, et entame sa première année d'internat au MGH.. Ouais, elle est ambitieuse, et a de nombreuses capacités d'après certains de ses professeurs... Quand aux hommes... Elle a passé six mois en France, et a failli se marier là-bas, mais... C'était un coup de tête, elle aimait cet homme, vraiment, mais... Tout est allé trop vite. »

Je porte ma main à ma petite chaîne en or, attrapant l'anneau qui y est accroché. Je ferme les yeux quelques secondes, et continue mon récit :

« Sasha a pris la douloureuse décision d'envoyer sa maman à l'hôpital, pour de bon. Elle a besoin de soins, de beaucoup de soins, mais il faut savoir que sa fille vient la voir dès qu'elle a un peu de temps. Être interne en chirurgie, c'est quelque chose de très difficile, mais Sasha ne laissera jamais tomber sa mère, jamais. »

« Cette Sasha a l'air de beaucoup tenir à sa mère... Faith, c'est ça? »

« Elle tient à sa mère plus que tout... C'est cela. Je viendrais vous racontez la suite un autre jour... Laissons à Sasha et Faith le temps de vivre d'autres aventures...»

« Oui, je vous attendrais Mademoiselle. Pourriez-vous me mettre ce foulard, s'il vous plaît? Ah... Je n'ai presque plus de cheveux, je déteste cela. »

Je me lève lentement, et aide la patiente à mettre le foulard sur son crâne. Quelques secondes après, je pose ma main sur celle de la dame, et exerce une légère pression.

« Je dois vous laisser, à plus tard... »

Je sors rapidement de la chambre, ne supportant plus cette ambiance, ce spectacle. Là, une infirmière m'interpelle, me demandant si je suis le médecin de Madame Murray.

« Non, non, je ne suis pas son médecin. En fait, je suis sa fille... »

« Oh, je ne savais pas... » Son regard se pose sur ma blouse, et elle fronce les sourcils. « Vous travaillez ici? »

« Je suis interne. Je ne suis pas de cet étage... Je travaille en chirurgie, j'essaie de savoir quel service est fait pour moi.»

«Oh, je vois...» Elle me lance un sourire chaleureux, puis pose son regard sur la porte de la chambre. «Je viens la voir quelques fois, elle ne se souvient jamais de moi... La tumeur provoque des troubles de la mémoire, je le sais, mais... Ce doit être vraiment dur pour vous. »

« Les médecins m'avaient préparé à ça... Parfois, elle se souvient, ça dépend des jours... » J'affiche un sourire triste, qui finit par disparaître quand le son de mon bippeur se fait entendre. « Je dois y aller... A plus tard, sûrement. »

Je tourne les talons, et me dirige vers l'un des ascenseurs, séchant une larme d'un revers de main.