Aujourd'hui encore, j'ai mal dormi. Je me réveille tous les matins avec l'intime conviction que quelque chose pourrait m'arriver. J'ouvre les yeux péniblement, et je reconnais alors des décors familiers. Mon plafond, mes murs, ma commode, ma porte,... Tout cet apport de facteurs que je connais par coeur contribue alors à me calmer. Je sens ma respiration devenir plus douce, et je me libère de l'amas de couverture. Je sens néanmoins toujours cette boule au ventre. Mon coeur s'emballe. Je ne suis pas en sécurité. Je pourrais avoir mal. Je ne veux pas avoir mal. Plus jamais. Mes mains cherchent fébrilement parmis les multiples flacons soigneusement rangé, lorsque ma main s'empare enfin d'une boite ronde remplie de petits dragées blancs. Ca va mieux. Le simple fait de savoir qu'ils sont là, juste à côté de moi, et que si il m'arrive quelque chose je n'ai qu'à tendre la main. D'ailleurs...

Peut-être que je devrais en prendre un maintenant? Je n'ai mal nulle part, mais qui sait? Personne ne sait, pas même moi. C'est quand même fort, mais j'ai peur, tellement peur d'avoir mal. Juste un, et puis c'est tout. J'entends à l'étage ma mère m'appeler à tue-tête. Elle va encore s'énerver parce que je vais être en retard. Je jette un bref coup d'oeil à mon horloge. Ouille. Je suis effectivement en retard, et pas d'un peu. Je pousse un soupir avant de me lever cette fois complètement. Je glisse un deuxième comprimé sous ma langue. Juste un dernier, ça ne va pas me faire de mal. Aujourd'hui... Aujourd'hui va être différent des autres jours, mais ça, je ne le sais pas encore. Moi...

Moi c'est Charlie. J'habite dans une petite maison de banlieu. J'ai un père et une mère adorables, qui comme tous le monde se disputent à l'heure des courses et se réconcilient devant la télévision. Je mène un train de vie normal: parfois je fais craquer mes économies pour une paire de chaussures, je me proclame au régime mais ne peut m'empêcher d'abandonner mes barres de chocolats, il m'arrive de traîner toute la journée en pyjama chez moi,... Quoi de plus normal. Normal? Vous parlez bien de moi là? Parce que je suis normale, même si tous pensent le contraire. J'ai pourtant toujours essayé de faire de mon mieux pour plaire à tous ces amis, ces gens avec qui dans le fond je passais toujours du bon temps. J'étais heureuse. Mais parfois il m'arrivais d'avoir mal.

Lorsqu'ils me faisaient des remarques. Des critiques blessantes. Ma mère m'avais toujours dit que les médicaments étaient là pour atténuer la souffrance et la faire disparaître. Et c'était vrai. Une simple gélule pour les maux de tête, ventre,... Si tu savais maman, si tu savais comme je te suis reconnaissante. Parce que je ne veux plus jamais avoir mal de cette façon là. Lorsqu'ils se moquent de moi, j'ai mal, tellement mal dans mon coeur que j'en pleure. Mais j'ai des médicaments, et j'en prends. J'en prends, et si ça ne passe pas, j'insiste. Ca finit toujours par passer. Parfois, quand je me réveille, j'ai encore mal. Je souffre. J'entends encore dans ma tête leurs voix méchante. Alors je continue. Et au final je me sens bien.

J'ai peur d'avoir encore mal maman. Mais je sais que je suis en sécurité avec mes médicaments. Je sais que tu n'aimes pas ça, alors je suis obligé de te mentir. Déjà une fois, tu en as trouvé. Tu criais si fort... Je ne comprends pas pourquoi tu criais si fort. Tu veux que je souffre, toi aussi? Tu es comme tous ces autres, n'est-ce pas? Pardonne-moi maman, pardonne-moi papa. J'aime trop la vie que pour pouvoir passer mon temps à la souffrir. Mais je vais bien. Je me sens bien.

Il est huit heure du matin lorsque je prends le volant. Je glisse encore un dragée sous ma langue. Encore et toujours. Je suis bien. Je dois me sentir bien. Il est huit heure du matin, et j'en suis déjà à cinq. Pardonnez-moi, papa, maman. Aujourd'hui sera une journée difficile, mais je ne le sais pas encore. Aujourd'hui, je ne vais pas réussir à compter combien j'en ai avalé. Aujourd'hui... Je ne sais pas ce qu'est une overdose de médicament, mais je vais le savoir aujourd'hui. Tôt ou tard j'aurais du le savoir. Je crois que je me suis effondrée en cours. Je n'ai plus mal. Il fait noir, si noir. J'espère... J'espère qu'en me réveillant, je pourrais les toucher. Juste en prendre un. J'ai peur... J'ai peur qu'en me réveillant dans cette chambre blanche, j'ai encore mal.